La grippe du poulet illustre l’échec de la santé publique néolibérale

La grippe du poulet illustre l’échec de la santé publique néolibérale

Les projecteurs se braquent à nouveau sur les acteurs de la santé publique appelés à livrer bataille contre une catastrophe «naturelle». Mais il est temps de se poser des questions. La crise était-elle imprévisible? N’est-ce pas du déjà vu? Quelles leçons n’ont pas été tirées? Et surtout, que faire pour prévenir de telles catastrophes à l’avenir?

On est gavés de comptes rendus d’experts traversant le monde pour lutter contre ce virus. Personne ne nie les efforts courageux de ceux-celles comme Carlo Urbani, médecin de l’OMS, premier au front avec le SRAS, mort avec les autres victimes au début ce cette épidémie.

Mais, la santé publique ça n’est pas la seule gestion de crises. Elle devrait se préoccuper de prévention, de promotion et de protection de la santé. Or cette crise était prévisible et ne sera pas la dernière. On passe systématiquement sous silence les causes profondes des problèmes environnementaux et sanitaires, pour permettre à ce mode de production de tourner à fond, au profit d’une minorité infime riche et puissante, qui ne souffre guère des désastres écologiques et sanitaires qu’il engendre.

SIDA: l’avertissement négligé

Depuis 20 ans, 40 millions de personnes ont été infectées, la plupart en Afrique. Une épidémie de proportions gigantesques se prépare en Asie du Sud-Est, où vivent des millions de pauvres, dépossédés de pouvoir.

Les scientifiques s’accordent plus ou moins sur le fait que le VIH a été transmis des singes aux humains il y a quelques décennies. Dans la nature, la transmission inter-espèces de virus est connue, mais ce processus naturel est accéléré aujourd’hui par destruction massive de l’habitat des espèces et proximité en découlant entre animaux et humains.

L’avertissement du SIDA aurait pu être pire, le VIH étant en fait peu contagieux. S’il était porté dans l’air comme la tuberculose, au lieu de l’être par le sang, l’épidémie aurait été bien plus dévastatrice et aurait vraiment menacé les pays riches. Avec une réaction probablement plus sérieuse…

Le péril ignoré

Les signes sont là pour nous indiquer qu’une gamme de virus et de bactéries, contre lesquels les humains n’ont pas développé de défense immunitaire, apparaîtra ces prochaines décennies. L’agro-industrie et l’utilisation de biotechnologies est au cœur de ce problème aigu. L’agriculture high tech élimine la diversité biologique, génère de nouveaux pathogènes, épuise et pollue l’eau, propage des maladies par la nourriture, accroît la résistance aux antibiotiques et menace productions locales et souveraineté alimentaires. On pourrait ajouter qu’elle livre des aliments nutritionnellement «morts» et dégoûtants.

Mais l’agro-industrie génère de fabuleux profits. Face aux résistances citoyennes croissantes, les multis géantes exportent leurs technologies pathogènes aux pays pauvres. Worldwatch1 rapporte que l’industrialisation de la production animale philippine a décimé les poules indigènes, ruiné les petits paysans ou forcé certains à imiter les méthodes des usines à animaux. Mexique, Inde et Chine sont à la même enseigne. «La haute densité d’animaux et leur proximité avec les êtres humains posent un énorme et terrifiant problème. On en sait peu sur le SRAS, mais il peut être lié à l’utilisation croissante de méthodes agro-industrielles en Chine et dans d’autres pays d’Asie. Le premier infecté par le SARS était un éleveur de canards.»

Les brevets avant la santé!

Conformément aux politiques néolibérales, les besoins humains sont subordonnés à ceux de compagnies privées. La santé n’est qu’un droit humain, mais les profits pharmaceutiques sont des droits sacrés. Les contrats avec les pharmas et les droits de propriété intellectuelle font déjà obstacle aux efforts internationaux de contrôles de l’épidémie de grippe aviaire.2

Les brevets étaient censé récompenser le mérite scientifique et non pas priver des populations des bienfaits de découvertes. La politique de santé publique néolibérale bien sûr se montre ultra-respectueuse envers l’ADPIC et le lobby des multis pharmaceutiques. L’opinion publique en se mobilisant dans les pays riches peut seule faire déclarer l’urgence sanitaire pour écarter ces obstacles.

Un résultat positif de la crise de la grippe du poulet, pourrait être de démontrer le vrai danger des aliments génétiquement modifiés. Les experts expliquent que si quelqu’un est infecté simultanément par la grippe du poulet et la grippe humaine, il pourrait y avoir échange de matériel génétique et création d’une souche virale virulente chez les humains. Jusqu’ici, aucun cas d’infection entre humains n’a été confirmée (chaque malade ayant été infecté par des poules) mais cette possibilité est reconnue comme danger réel.

Une admission utile dans la lutte contre les OGM! On a offert au public le spectacle ridicule de tel ministre de l’agriculture live à la TV en train de manger «courageusement» des aliments génétiquement modifiés. Tout cela pour éluder le fait que le vrai danger des OGM est le possible échange de matériel génétique entre céréales dans les champs et dans la nature, et non pas le fait d’avaler un hamburger…

Justice sociale, droits humains et santé publique

La grippe aviaire – en tant que maladie humaine – n’est pas un monstre naturel. Il a été créé par l’industrie agroalimentaire. Une approche de santé publique, axée sur la justice sociale et les droits humains doit se centrer sur la lutte contre la pauvreté, l’exploitation et les pratiques antisociales dangereuses qu’elle engendre. Le fermier vietnamien (et ses poules) n’est qu’une des milliards de victimes d’un ordre économique injuste qui impose ses technologies contre-nature. Si nous voulons éviter des épidémies nouvelles émergentes, comme la grippe aviaire, la communauté internationale doit retourner aux leçons de santé publique des 19ème et 20ème siècles. Des conditions de vie misérables, l’exploitation banalisée des faibles par les puissants sont, encore et toujours, les déterminants majeurs des maladies et morts évitables.

Rosamund RUSSEL

  1. The Globalization of Factory Farming. Danielle Nierenberg, Mai/Juin 2003
  2. Vietnam last on flu vaccine list. New Scientist 12.1.04.